Quand défendre sa maternité devient une priorité

En France métropolitaine, et ce depuis 1975, le nombre de maternités ne cesse de diminuer. La principale raison ? Une vaste manœuvre de restructuration du système de santé, opérée par le gouvernement. L’objectif est de “réduire les risques liés à l’accouchement”, mais l’initiative passe mal dans de nombreuses communes, les habitants furieux à l’idée d’être dépossédés de leur maternité. Décryptage. 

Rassemblement à Guingamp pour défendre la maternité et le service de chirurgie de l'hôpital

Image : Catherine Bazille/FTV

La foule est nombreuse, et déterminée malgré le froid d’un mois de décembre. Cet après-midi, ils sont un millier à battre le pavé des rues de Guingamp, une commune des Côtes d’Armor. Le phénomène n’est pas rare dans ce centre-ville, surtout après une des victoires de sa célèbre équipe de football, c’est davantage les motivations des manifestants qui le sont. Elles sont clairement affichées en tête de cortège, inscrites avec soin sur une banderole : “Hôpital sacrifié, pays en danger”. La marche, organisée en début de mois via les réseaux sociaux, a pour but de défendre la maternité locale, menacée par un plan de restructuration gouvernemental. Le 9 décembre, deux jours plus tôt, un expert mandaté par l’ARS (Agence Régionale de Santé) tenait une réunion afin de décider de l’avenir d’une partie de l’hôpital, dont la maternité. A la sortie, le résultat semblait sans appel. “Il prévoit de renforcer l’hôpital de Lannion, ce qui passe par la fermeture de la maternité et de la chirurgie 24/24 de Guingamp. Nous ne garderons, sans doute, que de la chirurgie ambulatoire » décrit le président du comité de défense de l’hôpital, Yann-Fanch Durant. Au sein de la manifestation, c’est Christian Naudin, gynécologue au pôle santé de Guingamp qui s’interroge au micro de la chaîne France 3 : « en France, on a 400 maternités, dont 200 de Niveau 1 (en charge des grossesses dites normales) alors que celles de Niveau 2 et 3 s’occupent des grossesses pathologiques. En fermant les maternités de Niveau 1, on risque d’emboliser les autres, qui ne pourront plus s’occuper des patientes ». 

Si à l’heure actuelle, l’avenir de l’hôpital guingampais n’est toujours pas défini, celui du système de naissance français se précise davantage. Et le cas de la maternité bretonne illustre à merveille l’histoire de ses 45 dernières années, celles d’une grande restructuration. 

Une diminution constante du nombre de maternités

L’un des faits avancés par les manifestants guingampais est celui de la diminution des maternités en France. Et c’est une réalité, elles ferment les unes après les autres. L’année dernière, la DREES (direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques) établit un portrait de l’évolution du nombre de ces établissements en France métropolitaine. Et à première vue, le constat est explicite. 

898 maternités fermées en l’espace d’un peu plus de 40 ans, pratiquement les deux tiers du nombre de ces établissements en 1975. C’est le chiffre. Le bilan est pour le moins impressionnant sous sa forme brute, mais reste équivoque. Avant de s’engager dans les différents points soulevés par cette transformation du service de naissances, il est important d’en comprendre l’origine. 

La diminution débute en 1972, par la parution du décret de Dietrich, qui réfère de nouvelles mesures appliquées aux maternités publiques comme privées. De nouvelles normes de sécurité très détaillées sont exigées, et une quinzaine de lits par établissement est désormais nécessaire pour obtenir l’autorisation d’exercer. C’est la première étape de restructuration des maternités, qui entraînera dès sa mise en fonction la fin de nombreuses maternités locales. La seconde étape est amorcée en 1998, avec les décrets Périnatalité, qui définissent trois types d’établissement en fonction de leurs niveaux de compétence :

– Maternité de type 1 : établissement adapté aux accouchements ne nécessitant pas de techniques particulières

– Maternités de type 2a et 2b : établissements disposant d’une unité de soins aux nouveau-nés comportant des soins intensifs. Pour une maternité de type 2b, les enfants nés prématurément sont également pris en charge.

– Maternité de type 3 : En plus des autres moyens de prise de charge, l’établissement dispose d’une unité de soins adaptés aux pathologies les plus graves, ainsi que d’un service de réanimation néonatale. 

L’objectif du gouvernement est alors d’orienter les femmes enceintes en fonction du niveau de risque de leur grossesse, grâce à un suivi prénatal précoce. C’est également le moyen pour le ministère de la santé de disposer d’un paysage clair du service de naissances français, et de repérer les établissements de niveau 1 moins fréquentés par la population. 

Une concentration du service de santé vers les grandes villes

Dans ce long travail de restructuration, l’objectif du gouvernement est clairement annoncé : améliorer la prise en charge des accouchements en fonction de leurs spécificités. C’est-à -dire augmenter la capacité d’accueil des maternités disposant de services spécialisés dans les difficultés d’accouchement, soit celles de type 2 et 3. Ces genres d’établissements sont pour la grande majorité situés en métropole, dans les grands hôpitaux. 

Le renforcement de ces maternités passe par la restructuration (souvent une fermeture) des établissements moins équipés placés en leurs périphérie. Ce procédé entraîne une concentration du service de santé, tant au niveau du personnel soignant que de la répartition spatiale des maternités. Cette transformation se vérifie d’ailleurs dans la répartition des maternités par le type qui leurs sont attribuées. 

Sources : DREES et FFRSP

Une conséquence de cette restructuration est déjà visible, celle de la concentration des accouchements, proportionnelle à la concentration de l’offre de soin. L’opération est simple, le taux de naissances en France est stable depuis plus de 40 ans, alors que le nombre de maternités ne fait que diminuer. Selon le journal Le Monde, le nombre d’établissements accueillant 2000 accouchements ou plus sur une année est passé de 95 en 2003 à 132 en 2016. 

Les maternités fermées, un problème local avant tout

Le renforcement des maternités de type 2 et 3 est une avancée dans la prise en charge des grossesses difficiles. Pourtant, le cheminement des éléments cités précédemment dresse un point noir dans cette concentration du système de naissances. Un problème local, celui du temps de trajet. Lors de la manifestation guingampaise, c’est l’un des reproches les plus évoqués : comment accoucher sans maternité à proximité ? 

La restructuration gouvernementale touche davantage les maternités de type 1 (voir graphique plus haut), situées en majorité en territoire rural ou en périphérie des métropoles. Pour la population vivant à proximité des maternités fermées, la seule solution est alors de se rendre à l’établissement suivant, situé 15, 20 minutes plus loin. 

Selon un rapport de la DREES, le nombre de femmes en âge de procréer vivant à plus de 30 minutes d’une maternité a augmenté d’un tiers entre 2000 et 2017, pour atteindre 7% soit 900 000 individus. La part de celles vivant à plus de 45 minutes d’une maternité a augmenté de 40% sur la même période, et représente désormais 2% de cette population.

Evolution du temps de trajet moyen pour accéder à une maternité entre 2000 et 2017 (France métropolitaine)

Même si l’institut nuance son propos dans la suite de son rapport, notamment en appuyant sur l’amélioration de l’accès aux soins dans les départements corses, l’effet des fermetures successives de maternités est le plus important. Il reste maintenant à savoir quand s’arrêtera la restructuration, et surtout à quel prix ?

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