Perros-Guirec ne respecte toujours pas les quotas de logements sociaux

Manifestation pour le droit au logement en Bretagne.
Manifestation pour le droit au logement en Bretagne.

17 589,09 € d’amende pour la commune de Perros-Guirec en 2020. C’est la somme que la ville est prête à payer pour ne pas construire de logements sociaux. Voir son dossier accepté par la municipalité n’est pas une mince affaire. Nombreux sont ceux qui attendent des mois, souvent des années avant de se voir attribuer un logement. 

« Ça fait deux ans que j’attendais ce logement ». Muriel Duforest, 62 ans, habite depuis le 9 août dernier dans les hauteurs de Perros-Guirec (Côtes-d’Armor). À cet endroit, vingt logements sociaux ont été construits cet été. « Auparavant j’habitais du côté du quartier de Trestraou, près de la plage, c’était hors de prix, alors en même temps, je cherchais un logement social, pendant deux ans, tous les six mois, je suis allée réclamer mon dossier à la mairie », dit-elle. Ainsi, c’est auprès de la mairie et du CCAS (centre communal d’Action Sociale) de la ville que Muriel Duforest s’est tournée.

Obtenir un logement social à Perros-Guirec est un combat sans nom, la soixantenaire en instance de divorce depuis deux ans explique : « Les démarches ne sont pas si compliquées, mais par contre, la mairie et le CCAS ne semblent pas se préoccuper plus que ça de nos dossiers, ils les posent sur un coin de table et ne reviennent pas dessus. » Cette native du nord ajoute : « Ne comptez pas sur eux pour vous rappeler et vous tenir au courant. Si vous n’y allez pas, ils ne le font pas. » Ici, l’adaptation aux besoins de chaque individu, de chaque famille est inexistante. Aucun accompagnement personnalisé n’est prévu, telle est la politique qu’a choisi d’adopter Perros-Guirec.

310 €. Voici ce que paye chaque mois Muriel Duforest pour son loyer. Payé en grande partie grâce à ses 216 € d’APL (aides personnelles au logement). « En tout j’ai 697 € de ressources, ça comprend, la pension que me verse mon ex-conjoint et les 97,50 € de RSA (revenu de solidarité active). Quand le divorce sera prononcé j’aurais beaucoup moins. » Mais que fournir pour être éligible à un logement social ? Le CCAS regarde les ressources, les impôts, ou encore si l’on a des enfants à charge. Muriel Duforest confie : « ça fait trois ans que ma fille, qui élève ses deux enfants seule, avec pour unique revenu 1000€, demande un logement, elle est contrainte aujourd’hui de payer 700€ par mois de loyer. » Alors comment expliquer qu’une mère dans une telle situation n’a toujours pas la possibilité de bénéficier d’un logement social ? « On lui a proposé d’habiter dans les grandes tours mais le quartier ne lui plaisait pas et puis c’était trop loin pour que les enfants se rendent à l’école à pied ». Elle ajoute : “Pour la ville de Perros-Guirec, si vous avez le temps de refuser une proposition alors c’est que vous avez le temps d’attendre. Vous n’êtes plus prioritaire ». Un manque cruel de politiques volontaristes et humanistes qu’elle dénonce : « Pour moi, la mairie ne joue pas son rôle. Le CCAS ne donne rien non plus, pas même des bons alimentaires. »

« 9 mois d’attente, 2 mois que j’ai des problèmes d’humidité, qu’il n’y a pas de pression dans le robinet, et les plaintes sont pleines de moisissures et de champignons. »

Muriel Duforest n’est pas la seule à avoir subi cette situation. Gérard habite au rez-de-chaussée de ces mêmes logements sociaux. « J’ai d’abord été en contact avec une assistante sociale aidant les personnes atteintes d’addiction à Lannion, puis cette dame m’a mis en relation avec l’Amisep. Cette association s’est bougé pour me trouver un logement qui me correspondait, ils m’ont suivi du début à la fin ». Depuis 2016, l’homme de 66 ans vit dans un logement social. Arrivé en août, le prix du loyer est un vrai soulagement pour lui : « Ici, je paye 330 € de loyer charges comprises pour 43m2, alors que dans mon ancien appartement j’étais à 550€, je fais énormément d’économies », s’exclame le Breton. Ancien informaticien, ce retraité depuis août, ne perçoit plus sa pension d’invalidité de 1100€. « Être travailleur handicapé ne vous donne pas plus de privilèges, vous n’êtes pas prioritaire », confie Gérard. Il ajoute : « 9 mois d’attente, 2 mois que j’ai des problèmes d’humidité, qu’il n’y a pas de pression dans le robinet, et les plaintes sont pleines de moisissures et de champignons. » Pour le jeune retraité, « ce bâtiment a été fait en dépit du bon sens et bâclé. Ma terrasse n’était pas finie, alors l’entreprise qui détient l’immeuble à embaucher un plombier et un électricien, ils ont passé l’après-midi dessus, pourquoi ne pas avoir embauché des carreleurs ? ». L’immeuble est mis à disposition d’une agence immobilière pendant 15 ans. Après ce délai, les vrais propriétaires reprennent la main et expulsent les habitants. Gérard termine : « Pour moi cet immeuble est une grosse magouille simplement pour respecter les quotas. Perros-Guirec joue de sa réputation touristique. La ville préfère prendre des amendes plutôt que de faire le nécessaire pour ses habitants. »

Pourtant la construction de logements sociaux est régulée par la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) adoptée en 2000. Dans son article 55 elle prévoit un minimum de 20% ou 25% de logements en fonction de la démographie de la commune. Le but avancé ? Renforcer la mixité sociale. La ville de Perros-Guirec doit se doter de 20% de ces logements. Mais en 2020 la proportion était de 9,64%, la ville paye donc des amendes, l’année dernière celle-ci s’est élevée à 17 589,09 €.

De son côté, la mairie de Perros-Guirec ne semble pas vouloir communiquer sur le sujet. Malgré plusieurs relances par téléphone et par mail, le maire est resté silencieux. Les personnes en attente de logements sociaux sont les premiers à pâtir de cette situation, l’attente est la seule solution. Le centre communal d’action sociale renvoie également toutes les demandes vers Erven Léon, le maire de Perros-Guirec et son service communication. Après un mois d’appels et d’envoi unilatéral de mails, une première réponse du secrétariat des élus : “Erven Léon est en déplacement sur Paris, il enchaîne des réunions toute la journée, je lui passe quand même le mot.” Si le mot est passé, l’appel lui ne l’a jamais été.

La part belle aux logements secondaires

Autour de la problématique des logements sociaux se pose la question de l’accès au logement dans sa globalité en Bretagne. Les villes côtières sont soumises à une forte pression immobilière, l’attractivité touristique entraîne l’installation permanente ou occasionnelle de nouvelles personnes. Les derniers chiffres de l’INSEE, datant de 2018, laissent apparaître que la région compte 13,3% de résidences secondaires. Perros-Guirec est largement au-dessus de ce pourcentage régional. Un tiers des logements sont des résidences secondaires dans la ville côtière, qui comptabilise 7 240 logements d’après le dernier recensement de l’INSEE. Alors que les revendications autour du droit au logement en Bretagne émergent à travers des collectifs comme Dispac’h ou des partis politiques, la tendance est à la hausse du côté des résidences occasionnelles. En dix ans, la proportion est passée de 32,8% à 37,6% du parc immobilier de la ville. 

Cette place accordée aux résidences secondaires contribue au manque de logements sociaux pour Nil Caouissin, conseiller régional membre de l’Union Démocratique de Bretagne. « Il y a un impact sur les logements sociaux à cause du fonctionnement de la loi solidarité et renouvellement urbain. Il y a un minimum de logements sociaux à fournir, en pourcentage du total des logements, sauf que ce n’est pas indexé sur l’ensemble des logements mais seulement sur les résidences principales. Ce qui veut dire que plus vous avez de logements secondaires ou de logements vacants sur votre commune, moins il faut fournir de logements sociaux. » L’élu, auteur du livre Manifeste pour un statut de résident en Bretagne, évoque plusieurs explications à la réticence des maires. « Sur la côte c’est compliqué car les prix des terrains et des bâtiments sont plus chers sur la côte, et ça aussi c’est un effet secondaire de l’attractivité de ces territoires et du fait qu’une bonne partie des logements sont soustraits à la vie à l’année. Il peut aussi y avoir un frein idéologique, c’est-à-dire que peut-être certains maires dans ces communes-là ne veulent pas avoir de logements sociaux parce que c’est une population précaire. »

Valentin Stoquer et Leïlou Robert

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