Festival du Film Court de Brest : le choix de la rédaction

Le Festival Européen du Film Court de Brest s’est tenu du 8 au 12 novembre 2023. À l’issue de l’événement, la rédaction a sélectionné ses court-métrages favoris. 

Quatre jours pour mettre à l’honneur le cinéma dans sa forme la plus courte. Le Festival du Film Court a pris ses quartiers à Brest, du 8 au 12 novembre 2023. Compétition européenne, française, bretonne… Sans oublier les « off », ces séances thématiques dénuées de l’enjeu de victoire. Que retenir de cette programmation bien garnie ? Voici le choix de la rédaction. 

Réincarnés, par Hugo Brunswick et Camille Charbeau

France / 2’21 / 2023

Parmi les places vides d’un parking désert, le néon d’un food truck brille au cœur de la nuit. Accoudés dans le froid, deux hommes attendent leur commande. Ils ne le savent pas encore mais leur vie est sur le point de chavirer.

© Nuits Bleues

À ceux qui doutent de l’efficacité du format court, il serait intéressant de présenter Réincarnés. Un récit de deux minutes, basé sur une idée loufoque. Le genre de folies qui pourrait émaner d’un délire entre potes, d’une pensée lancée à la fin d’une soirée éméchée. 

« Rose ? », demande le premier. Que sont-ils l’un pour l’autre ? Des ex, des amants ou de simples inconnus ? On l’ignore. Pas le temps d’aller plus loin, le second vient de lui répondre. « Jack ? »

La référence est posée, puis tout s’enchaîne avec frénésie. Le binôme rejoue les scènes du film culte Titanic. Un court-métrage surprenant, se basant sur une référence commune. Et qui, durant 120 secondes, emporte toute une salle dans un fou rire incontrôlable.

The Smile, par Erik van Schaaik

Belgique / Pays-Bas / 16′ / 2022

Lorsqu’une star de cinéma mondialement connue est accusée d’avoir mangé ses partenaires féminines, sa carrière tombe en ruines. Voici qui effacera le sourire de son visage !

© Erik van Schaaik Productions

Que fait un acteur lorsqu’il est visé par de nombreuses accusations de la part de ses consoeurs ? Il se réfugie en Europe pour y tourner dans des films d’art et d’essai ! Avant d’être rattrapé par les médias, qui tentent d’immortaliser une dernière fois la star déchue, l’œil larmoyant et un verre d’alcool à la main. Tel est l’itinéraire de Knud Dendermonde, un crocodile accusé d’avoir… mangé ses partenaires. 

The Smile est tourné à la manière d’un documentaire, entre interviews et images d’archive, retraçant l’ascension puis la chute du reptile. Nul besoin d’établir un parallèle avec ces réalisateurs ayant déserté les plateaux de tournage après le mouvement #MeToo. La métaphore se fait de moins en moins subtile au fil du récit.

Les mystérieuses aventures de Claude Conseil, par Marie-Lola Terver et Paul Jousselin 

France / 23′ / 2023

Claude Conseil vit une retraite paisible avec son mari dans une maison en forêt. Elle occupe son temps à écouter et enregistrer des oiseaux. Un jour, une rappeuse à succès donne sans le savoir le numéro de Claude dans sa dernière chanson. Son téléphone n’arrête plus de sonner, et sans qu’elle n’ait rien demandé, un monde inconnu s’invite chez elle et ses compagnons volatiles.

© Les Films du Sursaut

Tandis que Claude Conseil vit au rythme de la nature et des chants d’oiseaux, sa vie est chamboulée par l’arrivée massive d’appels d’une jeunesse plus ou moins fan, parfois vulgaire voire insultante. Le court dénonce le traitement réservé aux femmes dans l’industrie musicale au travers de messages vocaux peu cordiaux et d’insultes misogynes. Ces messages ne lui sont pas destinés. Mais elle leur porte toutefois une attention particulière. Tout comme elle cherche à reconnaître les chants d’oiseaux, Claude se met à décrypter le langage de cette jeunesse. Des mots qu’elle s’approprie jusqu’à lancer à un oiseau : « Vas-y, balance ton flow. »  

Deux mondes qui s’opposent, celui du calme et du rythme de la nature face à une frénésie inarrêtable de l’industrie musicale et des fandoms des réseaux sociaux, mais qui vont finalement se rencontrer.

Déshabille-moi, par Florent Médina et Maxime Vaudano

France / 16’05 / 2023

Antoine, jeune thésard, paie Anaïs, une camgirl, pour un striptease par webcam. Mais Anaïs, lassée par la routine des camshows, n’a pas envie de se déshabiller et impose ses règles du jeu : si Antoine veut qu’elle se dénude, il doit lui aussi ôter ses vêtements. Antoine finit par céder au désir d’Anaïs et la rejoint dans un duo sensuel d’effeuillage qui va bouleverser sa notion du plaisir.

© Félicité Production

Un film intime dans deux chambres, celle d’Antoine et celle d’Anaïs. Tout se passe à l’écran, par caméra interposée et messages sur le Chat. Antoine écrit une thèse sur les rapports homme/femme lorsque lui prend l’envie de faire une pause avec une camgirl. Il n’a pas beaucoup de temps, donne des ordres à Anaïs mais finit par se plonger dans un jeu auquel il ne s’attendait pas. 

Renversant le rapport de domination, Anaïs l’entraîne dans un strip tease fougueux et un peu maladroit. Chacun leur tour, ils doivent enlever un vêtement. Jusqu’au moment où seul Antoine finit dénudé, à danser devant la caméra pour Anaïs. On assiste à un bouleversement des rapports de force, de la femme soumise qui devient dominante à l’homme dominant qui devient soumis (et ne semble pas opposé à l’idée). Le spectateur observe Antoine explorer une nouvelle sexualité et se deviner par la même occasion. Une ode à la découverte de soi et au dépassement des frontières de la domination genrée. 

Anushan, par Vibirson Gnanatheepan

France / 24′ / 2023

Anushan est un adolescent de 13 ans et fils unique d’une famille tamoule. Alors qu’il renie sa culture et ignore l’histoire de son pays d’origine, il se retrouve à partager sa chambre pour quelques jours avec son oncle arrivé du Sri Lanka.

© (SIC) Pictures

Anushan, né en France mais d’origine tamoule, ignore tout de ce qu’ont vécu ses parents et surtout son père au Sri Lanka. Le réalisateur nous emmène au cœur d’une famille d’immigrés ou règne le silence des atrocités vécues par leur peuple. La transmission de l’histoire familiale et de celle d’un peuple tout entier est rompue à l’arrivée de l’oncle d’Anushan qui va, au fil des minutes l’emmener, dans cet héritage.

On observe une rupture générationnelle entre le fils reniant ses origines et le père qui ne les lui a jamais transmises. Source de tension avec Anushan, vivant dans le poids du silence de son père, et un géniteur faisant face à la douloureuse incompréhension de son enfant. 

Quelques mentions honorables

Parce que nos journalistes ne sont pas toujours parvenues à se mettre d’accord, voilà quelques films qui auraient mérité de figurer dans le classement.

Hors de la brume, par Tigrane Minassian

France / 19’25 / 2022

Arrière-pays niçois, 1978. Le soir de Noël, Annie reçoit un appel téléphonique de sa fille qui l’a quittée des années plus tôt pour rejoindre une secte. Avec l’aide de la police, Annie n’a que quelques minutes pour savoir où elle se trouve et la sauver d’un suicide collectif.

© Ad Astra Films

Un démarrage prometteur, s’annonçant comme un huis clos où Léa Drucker se tient, tremblante, près du téléphone. L’appel provenant d’une cabine téléphonique, elle ne peut rappeler. Et doit patienter à proximité du combiné. En face d’elle, deux enquêteurs, vestes en cuir élimées sur le dos, l’observent en silence.

La tension est à son comble. Jusqu’à l’apparition de ces arbres à l’écran, au cœur des Pyrénées, témoignant d’un passage à l’extérieur. Dès lors, le suspens est rompu. Cette jeune femme menacée, dont la voix nous tenait en haleine, a désormais un visage. Et la volonté d’attachement, comme le justifie le réalisateur Tigrane Minassian, ne tient plus. 

Avec l’humanité qui convient, par Kacper Checinski

France / 23’48 / 2023

Dans une antenne Pôle Emploi en pleine restructuration, Hélène, directrice adjointe, reçoit un e-mail alarmant de la part d’une chômeuse désespérée. Cette dernière menace de venir mettre fin à ses jours dans les locaux de l’agence. Avec l’aide de son équipe, Hélène va tenter de démêler les dysfonctionnements internes à l’origine de l’affaire afin d’empêcher l’irréparable.

© Takami Productions

À Pôle Emploi, c’est la cohue. Employés comme demandeurs d’emploi, tous ont la tête sous l’eau. D’un côté, les salariés enchaînent les rendez-vous tandis que les dossiers s’accumulent sur leurs bureaux. De l’autre, les chômeurs se raccrochent désespérément à ces conseillers, unique frontière entre leur situation actuelle et l’accès à leur droits.  

Le plan séquence, montrant la directrice adjointe sollicitée de tous les côtés alors qu’elle traverse un couloir, l’illustre bien. Tout au long du court-métrage, Kacper Checinski cultive la tension, laissant planer la menace qui pèse sur l’agence. Comme lorsqu’il fait glisser sa caméra tandis qu’Hélène explore les bureaux à la recherche de l’intruse.

The Talent, par Thomas May Bailey

Royaume-Uni / Irlande / 14’56 / 2023

Sur le plateau d’une publicité pour une voiture de luxe, un assistant négligé saisit sa chance d’être remarqué par la star. Ce court métrage novateur du scénariste et réalisateur Thomas May Bailey utilise le numérique pour explorer les rêves, l’obsession et la promesse d’une vie meilleure. 

© Second Name Productions

Pour se rapprocher de son rêve, il se met à la disposition de l’équipe de tournage. Sur le plateau, l’assistant est exemplaire. Mais aux yeux des autres, il n’est qu’un banal employé, tout juste bon à servir des cafés. Un personnage à l’apparence androgyne, interprété par Emma d’Arcy. Un visage aperçu dans la série House of the Dragons, où elle joue la future reine Rhaenyra Targaryen.


Le court-métrage s’empare des codes de la publicité de luxe pour les moquer. Le regard lointain, les arbres défilant le long de la route, les phrases dignes d’un livre de développement personnel… « Quelle route emprunter ? », questionne le célèbre acteur au volant de la voiture. « Il n’y a pas de mauvaise direction… sauf rester inactif. » Ce que prouve Thomas May Bailey en intégrant des images d’un talk show, moment idéalisé où l’assistant aurait trouvé le succès en osant.

Bleuenn Le Lay, Lisa Farou

Auteur/Autrice

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